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L’éparpillement des données freine l’IA

En 2023, le grand public a découvert le potentiel incroyable de l'intelligence artificielle. Rédiger des textes sur commande et générer des images à partir de rien semblent donner de bons résultats. Mais concevoir et construire une maison est une autre affaire. Ou peut-être pas ? (Laurenz Verledens)

Le secteur belge de la construction et de l'immobilier a la réputation d’être lent et conservateur. Nos chantiers et les acteurs du secteur immobilier accueillent les nouvelles technologies avec quelque hésitation. Pourtant, certains signes indiquent qu’un mouvement de rattrapage est en cours. Alexander Appelmans, qui poursuit une thèse de doctorat à la KU Leuven sur la numérisation des transactions immobilières, sait que le secteur explore déjà les potentialités des applications IA. Il cite entre autres comme exemples l'évaluation des biens immobiliers à l’aide de modèles d'évaluation automatisés et la mise en scène virtuelle, qui génère automatiquement, via l’intelligence artificielle, des rendus d'intérieur en fonction des préférences personnelles. Il note toutefois qu’il s‘agit principalement d'outils étrangers. La Belgique serait-elle à la traîne ?

« Plusieurs entreprises très innovantes travaillent déjà avec l'intelligence artificielle en Belgique », répond Alexander Appelmans. « Nous vivons dans une large mesure dans une économie de la connaissance, ce qui, en matière d’IA, nous confère une position de départ enviable. Mais dans le domaine particulier de la construction et de l'immobilier, il nous manque un écosystème de données. » Alexander Appelmans souligne que pour l'intelligence artificielle, les données sont cruciales. Certes, elles existent dans le secteur belge de la construction et de l'immobilier, mais elles sont très dispersées. « Il y a quelques grands acteurs dans ce secteur, mais ils travaillent souvent avec un nombre incroyablement élevé de petits sous-traitants », explique Alexander Appelmans. « Dans le secteur du courtage immobilier aussi, la fragmentation règne. Il y a plus de 10.000 agents immobiliers et 4.000 bureaux immobiliers, qui utilisent presque tous leur propre système. Et entre les différentes sous-professions, de nombreuses barrières de données existent, notamment en raison d’un manque de standardisation. Il en résulte de nombreux silos de données et des bases de données isolées. Il nous faut adopter un état d'esprit et une approche fondés sur le partage des données. »

Le BIM comme rampe de lancement

Selon Alexander Appelmans, la tendance à protéger les données est donc un obstacle à la percée de l'IA dans le secteur belge de la construction et de l'immobilier. L'entreprise de construction Vandenbussche située à Aalter est également confrontée à ce compartimentage. Avec la start-up britannique AUAR, elle collabore à un projet de conception et de construction d’unités d’habitation modulaires. AUAR (Automatic Architecture) utilise l'IA générative pour convertir les plans des architectes en un système de construction préfabriquée. En outre, le modèle d'AUAR peut créer lui-même des bâtiments en fonction des paramètres saisis. « D’autres acteurs proposent de tels concepts en Belgique et à l'étranger, mais AUAR a ceci de particulier que son modèle couvre l'ensemble de la chaîne : conception, production, installation et entretien », explique Kristof Defruyt, PDG de Vandenbussche. « Les concepteurs sont donc contraints, dans une certaine mesure, d’adopter le concept. »

La plus grande acceptation du BIM (Building Information Model) marque déjà une étape importante dans l’introduction des outils et des systèmes basés sur l'IA. « Bloquer l'IA n’a pas beaucoup de sens », déclare Kristof Defruyt. « L'IA va faire évoluer certains métiers, mais ce n'est pas une chose négative. » Alexander Appelmans partage cet avis. « La créativité humaine peut bénéficier d'un coup de pouce grâce à l'IA », affirme-t-il. « Par ailleurs, l'IA prendra principalement en un certain nombre de tâches répétitives, voire rébarbatives. Selon moi, c’est une évolution positive plutôt qu'une menace. »

Quoi qu’il en soit, les agents immobiliers sont conscients que l'IA aura un impact sur leur profession. Lors d'un congrès organisé à la fin du mois de novembre 2023 par l’association CIB, 68 % des courtiers présents ont répondu « oui » à la question « Pensez-vous que l'IA va changer le métier de professionnel de l'immobilier ? ». Mais seuls 10 % ont répondu par l'affirmative à la question « Votre agence immobilière a-t-elle une stratégie en matière d'IA ? ». Alexander Appelmans comprend cette situation. « Pour certaines entreprises, passer à l'IA constitue un saut considérable. Transformer une agence immobilière qui, pour ainsi dire, travaille encore avec un stylo et du papier, en une entreprise gérée par l'IA n’est pas réaliste. Les agences qui ont des ambitions en matière d'IA doivent d'abord gérer correctement leurs données. Et cela commence par une collecte systématique et un stockage structuré des données. »

Une valeur immobilière plus objective

Dans quelle activité et quels domaines du secteur belge de la construction et de l'immobilier existe-t-il un potentiel pour les applications IA ? « Je pense avant tout à l’ensemble des aspects liés aux transactions immobilières », répond Alexander Appelmans. « Parce que cette activité implique beaucoup de données qui sont peu exploitées aujourd'hui. » Il ajoute que, lorsqu'on déploie une nouvelle technologie, il faut toujours partir d'un problème à résoudre. « Et l'un des plus grands défis du secteur immobilier est de maintenir les logements à un prix abordable », poursuit-il. « L'IA peut jouer un rôle dans l'objectivation de la valeur des biens immobiliers. Aujourd'hui l'émotion joue un rôle important dans l'évaluation. Très souvent, les gens achètent à l'aveuglette, car ils n'ont généralement aucune compréhension des aspects qualitatifs et techniques d'un bien immobilier. »

Une application IA qui informerait les acheteurs potentiels sur les paramètres objectifs pourrait atténuer cet aspect émotionnel. Alexander Appelmans estime également que les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans ce domaine : « Les pouvoirs publics pourraient faire en sorte que la valeur d'un bien immobilier dépende en partie de la quantité et de la qualité des données disponibles pour ce bien. Cela pourrait se faire dans le cadre du mécanisme de marché, mais il faut créer un écosystème de données structurées sur les biens immobiliers, qui rassemble les données de différentes parties. En fait, il faut être en mesure de créer une image complète du bien. Au final, il faudrait pouvoir demander à l'outil de type ChatGPT : quel est le juste prix pour ce bien à cette adresse ? »


Une micro-usine intelligente

Chez Vandenbussche, robotisation et IA vont de pair. Les plans de construction générés à l'aide de l'outil IA d'AUAR sont transmis à des robots qui se chargent de la production d'unités modulaires en bois. « Nous gagnons évidemment du temps et il y a moins de risques d'erreurs ou de malentendus », explique Kristof Defruyt. « L’IA fournit un projet qui peut immédiatement être exécuté. Les implications financières d'une modification du projet sont visibles instantanément et c’est là un grand avantage. » Pour ce projet, Vandenbussche a investi dans une micro-usine au siège d’Aalter. « Il s'agit d'une très petite unité de production », souligne Kristof Defruyt. « Quelques conteneurs suffisent pour l'ensemble de la construction, ce qui permet de travailler partout où il y a de l'électricité. Nous pourrions donc installer une telle micro-usine sur de grands chantiers. Cela nous ouvre des perspectives. »

La micro-usine est encore en phase de test. Les robots ont déjà assemblé quelques pool houses et une commande de villas est prévue. « Mais », précise Kristof Defruyt, « nous ne sommes pas des constructeurs de villas. Notre intention est de réaliser de plus grands projets à plusieurs étages – écoles, maisons de repos, logements pour étudiants, etc. – grâce à ce concept. Ce n'est pas encore possible aujourd'hui, mais techniquement, je ne vois pas d'obstacles insurmontables. Le vrai défi sera d’impliquer les gens et les partenaires. Compte tenu de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée, le secteur sera de toute façon contraint, dans une certaine mesure, de recourir à des solutions créatives de ce type. »

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