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Le pain martien prend forme

Sera-t-il un jour possible de faire pousser du blé sur Mars et d’en faire du pain ? Sept entreprises et centres de connaissances belges étudient la question depuis début 2020. Où en est l’ambitieux projet SpaceBakery aujourd’hui ? W(outer Temmerman)

L’idée de faire pousser des plantes sur Mars paraît séduisante, mais peu réaliste. La température moyenne à la surface est de -60°C et l’atmosphère se compose à 95% de CO2. Si la NASA, l’ESA, Elon Musk ou d’autres candidats comme le consortium SpaceBakery veulent coloniser la planète rouge à partir de 2050, il sera pourtant indispensable de produire de la nourriture dans ces conditions rigoureuses. Pourquoi dès lors ne pas cuire du pain sur Mars ?

L’idée a germé chez Puratos, fournisseur belge des boulangeries, à l’occasion de son centenaire en 2019 lorsque la société a exprimé l’ambition d’être la première à cuire du pain sur Mars. C’est de cette ambition qu’est né le projet de recherche SpaceBakery, une collaboration de Puratos avec Urban Crop Solutions, Magics Technologies, l’Université de Gand (Faculté de bioingénierie), SCK CEN, l’Université de Hasselt et Flanders’ FOOD. Flanders Space est également impliqué et l’Agence flamande Innoveren en Ondernemen (VLAIO) a octroyé une subvention de 4,5 millions d’euros à ce grand projet.

Un complexe de quatre conteneurs est installé chez Puratos à Grand-Bigard, une PlantFactory de la société Urban Crop Solutions de Waregem. Dans cette SpaceBakery un écosystème fermé de culture a été créé. L’étude s’est concentrée sur le moyen de cultiver du blé en dehors des conditions et du climat terrestres. « Pour y parvenir, nous devons opérer un suivi rigoureux et mesurer constamment le développement du blé avec des capteurs de plantes innovants pour la consommation d’eau et la croissance », décrit le professeur Kathy Steppe de l’Université de Gand. Dans ce système hermétiquement fermé, les chercheurs ont testé un substrat de croissance adapté aux plantes, combiné à un système pour récupérer et réutiliser les composants principaux ou les nutriments.

« Pour remplacer la levure du boulanger, nous utilisons du levain, une technique de fermentation naturelle, afin d’améliorer la disponibilité biologique des nutriments, la digestibilité et la perception sensorielle d’applications de pain complet », décrit Bert Schamp, Research Manager chez Puratos. « Ce projet recherche des plantes capables de compléter les produits de blé pour équilibrer la teneur en nutriments et le profil protéique et ainsi créer des applications qui répondent à nos besoins journaliers en protéines, glucides, lipides, minéraux et vitamines. » « Pour passer d’un grain de blé à un pain au levain durable sur Mars, il faut aussi disposer, en plus des mesures par capteurs, de nouveaux modèles de culture en 3D pour prédire et optimaliser la croissance du blé », dit Kathy
Steppe. Autre élément essentiel : une technologie qui contribue à rendre la pollinisation possible.

Au cours de deux ans et demi de recherches, les scientifiques participants ont déterminé eux-mêmes le terreau, la période de récolte et la photopériode pour les plantes. Avec une consommation d’eau limitée et de l’engrais, ce terreau est un must, puisqu’une mission spatiale ne permet pas d’emporter de grandes quantités de matière. C’est pourquoi, dans les conteneurs, les plantes ont été directement cultivées dans une solution nutritive.

Production de blé quintuplée

Le projet de recherche courait jusqu’en septembre 2022 et il est parvenu à une conclusion provisoire au cours du premier Symposium SpaceBakery de deux jours en juin 2022 à Anvers. Les partenaires voulaient surtout y présenter les nouveaux développements technologiques. On guettait notamment les taux de rendement du blé en agriculture verticale, une méthode qui consiste à travailler avec des couches de culture empilées. Puratos voulait déterminer quelles matières premières permettent d’obtenir un levain résistant. Les chiffres ont été d’emblée prometteurs, avec un rendement multiplié par cinq pour le blé issu de la ferme verticale en comparaison du blé cultivé en champ. Sur ce sujet, Maarten Vandecruys, CTO et fondateur de Urban Crop Solutions, confiait récemment au Trends : « Il y a des grains de lave sur la surface martienne. Nous avons réussi à utiliser des grains comparables comme substrat. Le rendement du blé était cinq fois plus important qu’avec la culture en champ ouvert. Ces résultats ont conduit l’agence spatiale américaine, la NASA, à nous contacter. »

Petit problème : le blé cultivé en champ s’autopollinise, tandis que les chercheurs de la ferme verticale ont combiné le blé avec une légumineuse, le niébé. Cette plante connaît une autopollinisation partielle, mais son rendement est meilleur en cas de pollinisation par des insectes grâce à une dissémination accrue via le pollen. En l’absence d’insectes sur Mars, la compensation offerte par l’intelligence artificielle est essentielle. Grâce à la puce IA développée par Magics Technologies, des drones peuvent polliniser en toute autonomie : ils reconnaissent la plante, ils définissent le plan de vol, ils font contact avec la fleur et s’en éloignent. « The chip is in the oven », résumait le CEO Jens Verbeeck pour souligner que, selon lui, du matériel IA puissant et des algorithmes élaborés peuvent automatiser des tâches à forte intensité de main-d’œuvre dans l’agriculture. « Si l’homme veut aller sur Mars, des robots intelligents seront ses meilleurs alliés pour coloniser des mondes inconnus. » De plus, les drones sont économes en énergie et, dans d’autres domaines également, SpaceBakery a investi dans la production efficace et durable en utilisant des capteurs de plantes et de nouveaux modèles de culture en 3D. Sur Mars, le recyclage des matières premières est en effet la seule option. Les chercheurs d’UHasselt ont étudié comment cultiver de la façon la plus circulaire possible. Les déchets qui restent après la culture du blé, comme la paille et la balle, sont brûlés en l’absence d’oxygène. Le reliquat s’appelle biochar et contient encore beaucoup de matières premières. Le biochar s’est avéré tout à fait favorable pour cultiver à nouveau du blé dans des pierres de basalte, par exemple.

Qu’en est-il du rayonnement spatial ?

La question serait-elle donc réglée avec cette combinaison de culture verticale, de rendements positifs et d’une solution pour la pollinisation ? Pas vraiment. Un facteur à ne pas négliger est le rayonnement spatial subi en dehors du champ magnétique protecteur qui entoure la Terre. Tant les semences et les processus biologiques que les technologies numériques peuvent réagir tout à fait différemment sous l’effet du rayonnement ionisant. Ainsi, SCK CEN a testé plusieurs intensités de rayonnement pour déterminer son impact sur la valeur nutritive des plantes dans le projet test. Cet impact s’est avéré remarquablement bon : un taux de radiation modéré peut avoir un effet stimulant sur la croissance. « Le blé peut tout à fait pousser sans sol et avec une bonne dose de rayonnement spatial », assure Nele Horemans, radio-écologue pour SCK CEN. « Nous avons surtout étudié les fibres parce que ce sont de bons indicateurs de la valeur nutritive d’une plante, tout comme la teneur en lipides, en glucides, en amidon et en protéines. »

Lors du symposium, les partenaires se sont félicités que les principaux microorganismes et la qualité du produit répondent parfaitement aux exigences de qualité. En outre, la production peut être augmentée sans pesticides et la lave, comme nous l’avons dit, s’avère un substrat idéal. Le constat que toutes ces conclusions peuvent également bénéficier à une production plus durable sur terre, n’était jamais loin et, au contraire, les scientifiques ont aussi attiré l’attention sur d’autres applications. « Nous pourrons utiliser la technologie développée pour les nanodrones dans d’autres machines autonomes », dit Jens Verbeeck. « Grâce à l’emploi de capteurs de plantes innovants, nous donnons la parole aux plantes, qui nous disent en temps réel où en est leur état de santé, leur croissance et leur consommation d’eau », ajoute Kathy Steppe. « Ces machines et cette technologie exécuteront des tâches manuelles risquées et remplaceront la main-d’œuvre humaine dans un démantèlement nucléaire, par exemple. De plus, l’automatisation jouera un rôle important dans la production d’une nouvelle énergie durable. »

La suite

Malgré les bonnes nouvelles issues de la première période de recherche, le silence est à nouveau de mise autour du projet SpaceBakery depuis le symposium. Chaque partenaire a apporté des innovations spécifiques dans le projet : Puratos s’est concentrée sur la création du levain, Urban Crop Solutions a pourvu la solution de la culture verticale à l’intérieur, UHasselt a fourni le substrat de culture biochar, SCK CEN a travaillé sur un système de lixiviation de la lave et le microbiome des racines, Magics a construit des nanodrones pour la pollinisation, et UGent a transformé le blé en plante parlante avec des capteurs uniques et développé un modèle de culture en 3D afin de déterminer la méthode la plus optimale et la plus durable pour cultiver du blé dans un système fermé de biosphère martienne. Aujourd’hui, chaque partenaire évalue sa contribution, mais ils n’ont pas encore partagé leur évaluation. « C’est exact », dit Timothy Lefeber, qui a suivi le projet pour Flanders’ FOOD. « Actuellement, les partenaires sont occupés à traiter les données en interne et ils présenteront leurs conclusions en 2023. Nous saurons alors clairement quel sera l’avenir de SpaceBakery et s’ils souhaitent donner un prolongement à cette première phase de recherche. »


Cet article est paru dans le Top Industrie qui est disponible en PDF.

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