La semaine de quatre jours : entre engouement et levier stratégique
Depuis le « deal pour l’emploi » de 2022, les travailleurs peuvent répartir une semaine de travail à temps plein sur quatre journées plus longues. Le succès de cette mesure est toutefois mitigé. Les premières expériences révèlent les raisons de cette réticence. (Wouter Temmerman)
Selon une enquête d’Acerta Consult, seulement 0,8% des travailleurs et 2,85% des entreprises ont adopté la semaine de quatre jours. Selon les experts, la réticence s’explique par la longueur des journées de travail, difficiles à tenir pour beaucoup. De nombreux travailleurs redoutent une hausse du stress et de la fatigue au cours de ces longues journées. En pratique, d’autres formes de flexibilité séduisent davantage que la semaine de quatre jours. Parmi les alternatives, nous retrouvons le congé parental d’1/5 temps ou des jours de congés supplémentaires, quitte à perdre une part de salaire.
Réduction de la durée du travail
Ce succès mitigé est étroitement lié à l’organisation du temps de travail que le deal pour l’emploi n’a pas réduit, mais a réparti sur quatre jours au lieu de cinq. Cette solution contraste avec celle d’autres pays où le nombre d’heures prestées a été diminué, avec maintien du salaire : 32 heures en quatre jours, au lieu de 38 à 40 heures en cinq jours, par exemple. La véritable semaine de quatre jours avec réduction du temps de travail n’a été que timidement testée chez nous. Juste avant l’été, l’UGent et le Bureau fédéral du Plan ont publié les résultats d'un projet pilote sur la réduction collective de la durée du travail avec maintien du salaire. Le projet n’a pas suscité beaucoup plus d’intérêt : en fin de compte, une organisation a suivi l’ensemble du processus, tandis que trois autres entreprises ont choisi d’introduire la réduction du temps de travail, mais sans suivi scientifique. Selon les chercheurs, plusieurs conditions favorables doivent être réunies pour que les entreprises franchissent le pas. Elles veulent y voir des avantages clairs, comme un plus grand bien-être ou une meilleure image de l’employeur. Elles doivent aussi être suffisamment convaincues de la faisabilité pratique et financière du projet.
80% du travail pour 100% du salaire
Entre-temps, AFAS Software a réussi à faire parler d’elle en annonçant le passage à la semaine de quatre jours, assortie d’une réduction du temps de travail. Basée à Kontich, l’entreprise avait déjà dévoilé la mesure en 2024 et, après une phase préparatoire, le système est entré en vigueur le 1er janvier de cette année chez AFAS Pays-Bas. AFAS Belgique a suivi le 1er juillet. « Le gain d’efficacité doit profiter à nos collaborateurs », déclare Machiel den Dekker, CEO d’AFAS Software Belgique, interrogé sur sa motivation. « Ce n’est pas un point de départ, mais un aboutissement. Nous n’avons pu nous le permettre qu’après des années de croissance de la productivité. » AFAS a consacré plusieurs mois à rendre la semaine de quatre jours possible : analyse des processus internes, suppression des réunions inutiles et recours accru à l’automatisation pour gagner du temps. « Il fallait d’abord poser les bases », explique Machiel den Dekker. « On ne peut pas s’attendre à ce que travailler un jour en moins se fasse tout seul. La technologie n’a fait qu’augmenter la pression, le calme ne vient pas naturellement. En même temps, nous nous considérons plutôt comme une entreprise orientée culture et, si nous nous y préparons bien, cette mesure convient très bien à notre organisation qui repose sur la confiance. »
Temps libre forcé
La semaine de quatre jours s’est aussi imposée naturellement chez BossData, le bureau de marketing digital anversois. L’entreprise avait déjà pris des mesures radicales, comme l’introduction des congés illimités, et souhaitait tester la semaine de quatre jours. En 2022, un test a été lancé pour améliorer l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Trois collaborateurs, ayant un profil différent, de junior à senior, ont choisi de ne plus travailler un jour par semaine. « Nous nous sommes dit : pourquoi pas ? Nous avions déjà introduit les congés illimités et les horaires flexibles », explique Lien Dekeyser, Digital Marketing Consultant chez BossData, qui fait partie des trois « cobayes ». L’expérience, qui n’a duré que six semaines, était un test rapide pour BossData. « Nous n’avions pas redéfini nos processus en amont ni passé d’accords spécifiques avec nos clients », précise Lien Dekeyser. « Nous voulions juste voir ce que ça donnerait. » L’expérience a suscité l’enthousiasme attendu au début. « Nous l’avons reçu comme un vrai cadeau les premières semaines », raconte Lien Dekeyser. Mais le vent a vite tourné. « Les journées de travail étaient plus intenses, j’avais à peine le temps de faire autre chose que l’essentiel. Je n’avais plus le temps de souffler. » Les travailleurs ont constaté que des réunions et des projets à long terme passaient au second plan. « Au fil du temps, la journée libérée s’est transformée en temps libre forcé. »
Autre son de cloche chez AFAS Belgique où l’inquiétude primait au début. « Je me suis d’abord demandé comment j’allais faire pour condenser le travail sur quatre jours », se souvient Machiel den Dekker. « Mais une fois que tout a été clair et prêt, l’inquiétude a disparu. » Le vendredi libéré a été rebaptisé « jour de développement » au sein de l’entreprise. « Nous ne contrôlons pas ce que chacun fait ce jour-là. Si on se développe en jardinant ou en lisant un livre, c’est très bien. L’objectif était d’avoir du temps pour soi. » Selon lui, l’ambiance a vraiment changé : ses collaborateurs ont perçu ce jour de congé supplémentaire comme une marque de confiance, ce qui a boosté leur énergie au travail.
Les clients préservés
En parallèle, AFAS s’est assurée que l’impact sur les clients soit limité. Le service d’assistance à la clientèle est resté opérationnel grâce à la mise en place d’un système de rotation des équipes pour que les clients ne subissent aucun désagrément lié au vendredi devenu un jour de congé fixe. « Nous nous sommes organisés pour que le service soit assuré en continu », souligne Machiel den Dekker. BossData reconnaît que se mettre d’accord avec les clients aurait pu faire la différence. « Les clients n’étaient pas toujours au courant que nous testions ce système », reconnaît Lien Dekeyser. En interne, le test a parfois perturbé la communication : certains collègues étaient absents alors que d’autres avaient justement besoin d’eux. Finalement, BossData a constaté trop peu de bénéfices concrets. L’équipe était beaucoup plus sous pression les quatre jours de travail et avait moins de temps pour les améliorations structurelles. « Nous arrivions à respecter les délais, mais nous ne nous occupions plus de stratégie », explique Lien Dekeyser. Après six semaines, le test a pris fin.
Chez AFAS Belgique, la semaine de quatre jours ne semble pas freiner la croissance. « Malgré la semaine de quatre jours, nous enregistrons aujourd’hui une croissance de 11% », déclare Machiel den Dekker. « L’IA n’est pas la cause de l’introduction de la semaine de quatre jours, mais elle a contribué à notre croissance. » L’entreprise constate également un effet positif sur la rétention. « L’IT est un métier en pénurie, mais pas chez nous », souligne le CEO. AFAS note une amélioration de son image employeur, avec un absentéisme et un turnover qui sont restés faibles.
La semaine de quatre jours, qu’elle soit comprimée ou réduite, n’est pas la panacée. Son succès dépend du secteur, des attentes des clients, de la taille des équipes et de la marge financière. Avant de franchir le pas, il faut d’abord renforcer les bases : travailler plus intelligemment avant de travailler moins, améliorer l’efficacité et la culture d’entreprise, et communiquer avec transparence sur la mesure. La semaine de quatre jours pourra alors devenir un levier stratégique pour la rétention, la productivité et l’image employeur, même si elle reste aujourd'hui un concept à la mode.