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La reine Voiture à l’heure du transfert modal

Au siècle dernier, les villes déroulaient le tapis rouge pour la reine Voiture. Aujourd’hui, elle doit dégager la voie pour d’autres modes de transport. Quelles sont les conséquences de ce basculement pour l’infrastructure de parking dans nos villes et leur périphérie ? (Laurenz Verledens)

Une place de parking n’est jamais gratuite, mais s’assortit toujours de coûts : pour aménager l’espace, pour le gérer, pour en assurer la surveillance ou la maintenance… Ceci constate Jeroen Bastiaens, urbaniste chez Sweco. Ce bureau international d’études et d’ingénierie conseille les pouvoirs publics et les entreprises dans la conception et l’organisation de leur politique de parking. L’expertise de Sweco comprend aussi la conception de garages et l’analyse coût-efficacité d’investissements potentiels dans une infra- structure de parking.

Quel est donc le prix d’un emplacement de parking ? « Pour un parking en sous-sol, il faut facilement compter 25.000 à 30.000 euros par emplacement », répond Jeroen Bastiaens. « Une place à l’extérieur est beaucoup moins onéreuse, mais il n’est pas rare d’atteindre des montants de 7.500 euros pour un emplacement. « Quelqu’un doit supporter ces coûts », enchaîne son collègue Stefaan Lumen. « Et s’ils ne sont pas répercutés sur les utilisateurs de l’infrastructure, ce sera à la limite au contribuable de payer l’addition. »

Depuis un certain temps déjà, la tendance est au bannissement des voitures stationnées sur la voie publique. L’alternative aux places aménagées dans la rue est la construction d’infrastructures de parking (essentiellement souterraines). La raison est simple : en ville, l’espace (public) est rare et donc précieux. Vu sous cet angle, même l’emplacement le moins cher (situé en rue et délimité par une bande de peinture blanche) n’est jamais gratuit.

L’attention croissante accordée à la qualité de la vie en zone urbaine accentue encore la pression pour supprimer les voitures de la voie publique. Afin de limiter le stress thermique et les inondations causés par le changement climatique, les villes investissent aussi dans l’élimination du béton. « Les défis sont gigantesques et l’espace au niveau du sol est limité », résume Jeroen Bastiaens. « Si nous voulons utiliser cet espace pour le logement, pour l’interaction sociale, pour que les enfants jouent en sécurité, etc., l’espace extérieur dédié aux véhicules doit s’amenuiser. Il est possible de compenser en garant les voitures en sous-sol, dans les immeubles ou en périphérie. »

Le raisonnement semble crédible, mais il est extrêmement coûteux. « Il faut donc intégrer de tels investissements dans une politique de mobilité et de stationnement cohérente », souligne Stefaan Lumen. « Trop souvent encore, la réflexion menée sur les options et les plans en matière d’infrastructure de parking est orientée vers la fonction : nous créons autant de logements supplémentaires, donc nous devons ajouter autant de places de parking. Ou : nous construisons un nouvel hôtel, donc nous avons besoin d’emplacements de parking supplémentaires. » Selon Stefaan Lumen, il est beaucoup plus intéressant d’axer la réflexion sur la zone et de considérer l’ensemble des besoins réels de stationnement dans un quartier. Les riverains ont surtout besoin d’un emplacement en soirée et le week-end. Les professionnels veulent stationner leur véhicule pendant la journée. Et pour les visiteurs et les adeptes du shopping, les besoins de stationnement sont surtout importants le week-end. En dressant l’inventaire de ces besoins et en les reliant, il est possible de multiplier l’utilisation des emplacements, ce qui réduit le nombre de places nécessaires et donc aussi les investissements dans les infrastructures de parking.

« La politique de stationnement doit également être sans faille », poursuit Stefaan Lumen. « Car il serait insensé d’investir dans un parking en sous-sol très onéreux alors qu’il est possible de stationner gratuitement cent mètres plus loin. Vous devez absolument éviter de telles erreurs dans votre politique de stationnement. Vous ne pourrez jamais répercuter l’intégralité des coûts d’investissement de vos emplacements extérieurs ou souterrains sur vos tarifs car la différence de prix entre les deux options est trop grande. Vous risquez de voir votre coûteuse infrastructure souterraine rester largement sous-exploitée. »

Stationnement de riverains et électrification du parc automobile

Une autre piste pour réduire la pression de la voiture sur l’espace intra-urbain consiste, dans la mesure du possible, à bannir les véhicules du centre-ville. Les plans de circulation, les zones sans voiture et les axes de circulation coupés répondent à cette stratégie. Pour que les villes restent malgré tout accessibles aux visiteurs, de telles mesures sont souvent combinées à l’aménagement de parkings périphériques ou de transit. La pression sur l’espace est moins forte en périphérie de sorte qu’il est possible d’y construire des parkings hors sol à un coût raisonnable. L’infrastructure Park & Ride aménagée dans le cadre du projet Oosterweel à Anvers illustre parfaitement cette approche. « Il s’agit en effet d’une alternative intéressante pour les métropoles avec une forte attractivité », estime Jeroen Bastiaens. « Mais pour les petites agglomérations, cette solution est moins évidente parce qu’elles ne disposent pas de transports publics performants. Par ailleurs, les grands centres urbains sont aussi confrontés aux décisions du passé. Dans les années 80 et 90, la politique consistait à libérer les grandes places du trafic automobile en y construisant des parkings souterrains. Le résultat est de continuer à attirer les voitures dans le centre-ville. Une solution envisageable consisterait à réserver ces emplacements situés en plein centre aux seuls riverains. »

L’électrification du parc automobile pourrait bien accélérer ce passage du stationnement des riverains vers les parkings, pense Roland Cracco, CEO de l’exploitant de parkings Interparking. « Aujourd’hui, ce sont surtout des gens aisés qui roulent en voiture électrique », relève-t-il. « Ce sont aussi des personnes qui ont accès à une borne de recharge à leur domicile ou au travail. Si tout le monde doit rouler à l’électrique demain ou après-demain, la situation sera tout autre. Un très grand nombre de ces nouveaux propriétaires de véhicules électriques n’auront pas accès à leur propre borne de recharge. L’installation massive de bornes de recharge dans l’espace public n’est pas non plus souhaitable. Cette perspective représente une grande opportunité pour nous. En équipant systématiquement nos parkings de bornes de recharge, nous pouvons proposer une solution à la fois au stationnement des riverains en ville et à l’électrification du parc automobile. Nous sommes d’ailleurs déjà pleinement engagés sur cette voie. D’ici 2025, nous voulons que 12,5 pour cent de nos emplacements de parking soient équipés d’une borne de recharge. »

Roland Cracco pointe encore deux grands défis. « Actuellement, le réseau électrique belge n’est pas prêt à fournir de gros volumes d’électricité dans nos garages. Il faut installer de nouveaux câbles, des cabines à haute tension, etc. Lorsque ces modifications interviendront, nous investirons massivement dans l’installation de bornes de recharge dans nos parkings. La sécurité incendie est aussi un point sensible, mais il existe déjà des solutions à cet égard. » 

Le parking de l’avenir

Après l’électrification du parc automobile, un défi plus grand encore attend peut-être les exploitants de parkings et les autorités communales : la voiture autonome. Roland Cracco est catégorique : « A terme, la voiture autonome sera présente. Il reste à savoir en quelle qualité. Menacera-t-elle la voiture privée classique ? Nous ne le pensons pas. D’après nous, la voiture autonome sera une extension de l’habitation : une sorte d’espace de travail ou même une chambre à coucher ou un salon roulant. »

Roland Cracco ne prévoit pas une diminution du nombre de voitures. Quant à évaluer les besoins de stationnement, il avance deux scénarios. « Soit ces voitures autonomes rouleront sans cesse, même lorsqu’elles seront vides. Soit elles seront stationnées en attendant leur utilisation. Circuler à vide nous paraît indéfendable sur le plan sociétal parce qu’un véhicule en mouvement impacte inévitablement l’environnement et la qualité de vie en ville. Il faudra donc bien stationner ces voitures autonomes quelque part. »

Roland Cracco estime qu’elles pourraient tout à fait occuper des parkings existants, même anciens. « Nous testons déjà cette option », dit-il. « L’un des grands avantages est qu’un véhicule autonome demande moins d’espace. En effet, sans passager, les voitures peuvent stationner plus près les unes des autres car il n’est pas nécessaire d’ouvrir les portes. Un véhicule autonome se gare mieux qu’un conducteur humain ce qui permet de réduire encore l’espace de stationnement. Bref, nous pourrons stationner davantage de voitures dans nos parkings existants. » Mais Roland Cracco pense que la percée de la voiture autonome conduira aussi à un nouveau type de parking. « Le parking de l’avenir pourra être plus décentralisé. Aujourd’hui, les parkings sont généralement associés à une destination : si vous allez au cinéma, vous voulez vous garer à proximité de la salle. Cette association n’existe plus dans le cas d’une voiture autonome parce qu’elle vous dépose à votre destination et vient vous rechercher plus tard au même endroit. Dans l’intervalle, son lieu de stationnement ne doit pas forcément se trouver à proximité. Le parking même sera plus compact grâce au stationnement plus efficace. Sa hauteur sera également moindre car il ne devra plus accueillir d’être humain. Et le parking de l’avenir sera intelligent. En effet, une voiture autonome nécessite non seulement beaucoup d’intelligence artificielle dans le véhicule lui-même, mais aussi dans l’infrastructure. Il faudra donc investir dans la digitalisation. Par ailleurs, nous pourrons accorder moins d’attention à l’aménagement du parking et à l’expérience du client. »

Stefaan Lumen estime qu’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de l’introduction éventuelle de la voiture autonome. Il évoque les différents degrés d’autonomie : de la conduite assistée à l’autonomie complète. « De quel degré d’autonomie parlons-nous ? La voiture totalement autonome sera-t-elle introduite un jour ? Est-ce d’ailleurs souhaitable ? » L’essentiel, selon Jeroen Bastiaens, est de savoir si cette évolution conduira à un glissement de la possession d’un véhicule vers l’utilisation d’un véhicule. « Une voiture reste stationnée 95 pour cent du temps en moyenne. Les véhicules partagés sont utilisés de manière beaucoup plus intensive, avec un impact important sur les besoins de parking. D’après les études, la baisse pourrait atteindre un facteur de 6 à 8. Le gain d’efficacité serait énorme. »

Face aux nombreux points d’interrogation qui entourent le rôle et la place de la voiture à l’avenir, Sweco plaide pour une ‘stratégie de stationnement adaptative’. « Optez pour des solutions qui vous permettront de vous adapter à ces évolutions », conseille Jeroen Bastiaens. « L’un des désavantages d’un parking en sous-sol (outre son coût élevé) est de bétonner presque littéralement la dépendance à la voiture. Un parking extérieur doté d’une structure qui laisse la possibilité de modifier l’affectation du bâtiment à terme est sans doute plus intéressant. Une autre solution correspondant à cette stratégie de transition consiste à miser sur des parcelles inoccupées. En attendant une affectation définitive, une infrastructure de parking démontable peut répondre à un besoin de stationnement temporaire de façon relativement facile et peu onéreuse. »


Cet article est paru dans le Top Construction, qui est disponible en PDF.

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